17e épisode
Chapitre 4 : où les choses se compliquent

Viviane a quitté Reims.
Après une très tendre nuit avec Jehan, elle tourne le dos à cette ville qu’elle aime mais dans laquelle elle se sent plus à l’aise ; elle fuit sa famille et l’implacable rigueur de son père. Quel sera son devenir ? Elle ne peut encore l’imaginer, mais assurément, elle ne prendra pas l’habit de nonne qu’on veut lui faire porter.
Pour l’heure, elle fait route vers la Flandre, vers Tournehem, dans la caravane d’Antoine de Bourgogne, le Grand Bâtard qui a accepté de la prendre en charge, ainsi que son amie Flore. Toutes deux, sont confortablement installées dans une litière, alors que les domestiques de la suite voyagent dans des chariots brinquebalants, au grand air, sous la chaleur du soleil estival.
Les deux amies profitent de leur isolement pour échanger des confidences. Flore s’ouvre à Viviane ; son corps a enfin connu le plaisir de l’orgasme provoqué par les tendres caresses de Gaspar. Il lui a fait découvrir le grand bonheur de l’extase amoureuse, qu’un mari indifférent n’avait pas réussi à lui apporter jusqu’à présent. Aujourd’hui, elle est submergée par la joie d’avoir connu ce délicieux enchantement, mais la nostalgie l’assaille en s’éloignant de Gaspar qu’elle ne reverra sans doute plus.
Viviane, elle aussi, est triste de devoir quitter Jehan : ses caresses lui manquent déjà. En est-il de même pour lui ? N’a-t-elle pas été, après tout, qu’une passade apportant quelques moments de plaisir, mais qu’on oublie rapidement ? Soudain elle songe à cette Eliette que Jehan semble trop bien connaitre et vers laquelle il se consolera sans doute de son absence. La jalousie la taraude un instant, provocant une larme que son amie Flore a entrevue et qu’avec tendresse elle essuie. Les deux femmes se comprennent : depuis de longues années elles éprouvent l’une pour l’autre une indéfectible amitié, une tendresse qui ne peut faillir même si leur corps a connu avec des hommes d’autres émois, d’autres façons d’aimer.
***
A Reims, Jehan ressent lui aussi avec tristesse le départ de Viviane. Seul dans son atelier, il n’éprouve même pas le besoin de s’adonner aux travaux d’enluminure qui lui ont été commandées. D’ordinaire, c’est avec plaisir qu’il réalise ces œuvres artistiques, mais aujourd’hui, il n’en a aucune envie.
Dans la cité, les soldats du guet recherchent toujours Viviane, dont la famille, sans nouvelles depuis plusieurs jours, s’inquiète vraiment. Jehan se demande s’il ne devrait pas, sans tout leur dire bien sûr, aller les rassurer, leur signifier que Viviane est en bonne santé, qu’ils n’ont pas à se faire de souci. Mais agir ainsi laisserai apparaitre qu’il en connait plus qu’il ne le dit. Il songe à trouver conseil auprès des moines qui l’ont élevé et s’apprête à gagner l’abbaye de St Rémi, lorsque parait soudain Eliette. Tous deux avaient cessé leur très intime liaison mais ils restaient en contact et poursuivaient d’amicales relations.
– Tu es seul mon petit Minet, ta damoiselle t’a quitté ?
Cela, dit sur le petit ton ironique qui lui était coutumier ; la plaisanterie ne fait pas réagir Jehan qui reste muet, et face à ce silence, elle comprend que son ami est plus préoccupé qu’elle ne le pense. Aussi, se fait-elle plus douce, plus câline ; elle l’entoure de ses bras affectueux. Jehan respire son parfum, plus troublé qu’il ne parait. Décidément, cette femme est un vrai démon tentateur, une diablesse ensorceleuse, une continuelle aguicheuse d’homme. Penchée devant Jehan, elle sait bien qu’il ne peut ignorer la vue d’un décolleté plongeant où l’on entrevoit ses seins magnifiques. On ne reste jamais insensible à telle vision et Jehan plus que tout autre le sait pertinemment.
– Laisse-moi regarder si tu bandes, mon petit coquin.
– Je t’en prie Eliette, je n’ai pas l’esprit à la gaudriole.
– C’est dommage, car moi j’ai grande envie de quelques petites cajoleries, comme celles du temps où tu étais plus empressé qu’aujourd’hui.
– Ne sois pas importune, j’ai en tête d’autres soucis.
– Eh bien libère-toi de ces soucis, raconte-moi tes misères, tu sais bien que je suis très attentive et éventuellement bonne conseillère.
Et Jehan s’épanche auprès de son amie. Il lui raconte avec force détails les évènements de ces derniers jours : sa rencontre fortuite avec Viviane, leurs émois, la décision familiale à laquelle elle ne veut point se soumettre, son départ pour Tournehem avec le Grand Bâtard. Il lui fait part de son intension de prévenir sa famille, dont il imagine volontiers le souci et qu’il souhaiterait rassurer.
– Et comment comptes-tu te présenter à son père, qui bien évidemment, te demandera par quel miracle tu possèdes des renseignements concernant sa fille ?
– Je n’entrerai pas dans les détails, je…
– Tu lui diras, cher monsieur j’ai dépucelé votre fille, qui a bien apprécié la chose et qui depuis lors n’a pas du tout envie de s’enfermer dans un couvent, soumise à l’austère vie de ces femmes privées de…
Eliette évita de prononcer un mot un peu trop vulgaire, précisant l’objet des privations, mais poursuivit :
– Fais-moi confiance ; je connais ce drapier du quartier St Jacques, chez lequel il m’arrive de faire des emplettes. Je vais lui servir quelques fariboles qui le tranquilliseront et qui aurons l’avantage de te laisser hors de la disparition de sa fille. Car si les soldats du guet te savaient mêlé à cette affaire, ils auraient tôt fait de te soumettre à la question pour te faire avouer tout et n’importe quoi.
Sans trop savoir ce que mijotait son amie, Jehan dut reconnaitre qu’Eliette arrivait à point nommé pour le tirer d’embarras.
– Tu es une chic fille, ma petite Eliette.
– Tu ne crois pas que tout cela mérite une petite compensation…
Jehan savait ce que le terme signifiait pour elle. Ils se retrouvèrent à l’étage, et sur le lit douillet ils reprirent les habitudes d’autrefois. Ce fut un instant passionné durant lequel ils retrouvèrent les gestes intimes qui ne s’oublient pas. Jehan retrouva avec plaisir le corps séduisant de cette femme qui au seuil de la quarantaine se révélait toujours aussi désirable. Ce petit revenez-y leur fit grand bien ; comblés, ils s’assoupirent serrés l’un contre l’autre.
Eliette rompit la pause, lançant comme il savait le faire, une plaisanterie plutôt douteuse.
– Ta Viviane, elle suce bien ?
– Décidément, tu es incorrigible !
– Et une bonne suceuse.
Et en bonne coquine, elle s’exécuta.
Note de l’éditeur : l’auteur emploie ici le terme de « coquine », car en ce 16e siècle, le mot « salope » plus convenant à la situation, n’existait pas encore.
***
Pendant ce temps là, la caravane du Grand Bâtard poursuit sa chevauchée vers Tournehem. Comme il est hors de question de faire le voyage en une seule traite, quelques haltes seront nécessaires et Antoine de Bourgogne assure à Viviane et Flore, ses protégées de confortables nuitées dans des auberges qui jalonnent la route menant en Flandre. Les jeunes femmes apprécient la sollicitude de ce grand seigneur, qui au cours du souper se révèle un délicieux conteur. Il fait part de ses combats militaires auprès du duc Charles le Téméraire, son demi-frère ainsi que ceux qui se déroulèrent en Italie au temps du Roi Charles VIII.
Il ne combat plus maintenant, il a 77 ans, mais son œil fripon montre qu’il n’est pas indifférent à la vue d’un jupon et Flore, qui a quelques retards de caresses, ne repousse pas les mains baladeuses qu’Antoine laisse s’égarer sur quelques parties replètes de son anatomie.
Recrue de fatigue, celle du voyage mais également celle générée par ses soucis, Viviane à regagné très vite leur chambre. Flore tint compagnie à Antoine sous la tonnelle du jardin. Elle écouta ses histoires, elle se laissa peloter et finalement, pour ne pas troubler le sommeil de son amie, elle accepta l’invite du guerrier qui lui offrit une place dans son lit.
Flore avouera, par la suite, que s’il avait été autrefois vaillant au combat, il n’avait plus l’âge de s’adonner aux joutes amoureuses. Elle regretta, bien sûr, le savoir faire de Gaspar et regretta presque de lui avoir été infidèle.
***
Comme promis, Eliette s’en vint auprès des parents de Viviane et débita son complet savamment préparé.
– Je connais bien votre fille qui est souvent venue me voir dans mon apothicairerie. Il lui est arrivé de me demander des conseils de beauté et ces visites ont créé entre nous une sincère amitié.
– C’est bizarre, elle ne nous en a jamais fait part.
– Ce sont là des cachoteries de jeune fille.
Et se tournant vers la maman :
– Nous autres femme connaissons bien cela, n’est-ce pas ?
Le sourire de la mère, l’incita à poursuivre.
Il faut savoir que le Roi louis XII, qui venait d’être sacré, était marié à Jeanne de France, fille de feu Louis XI ; ce mariage lui ayant été imposé, il s’apprêtait à demander le divorce et Jeanne, très pieuse, avait pour projet de créer l’ordre religieux de l’Annonciade pour lequel elle souhaitait recruter quelques jeunes femmes désireuses de se consacrer à la vie monacale suivant des règles qu’elle était en train de déterminer.
– Durant les journées du sacre royal, votre fille Viviane eut l’occasion de s’entretenir avec une jeune femme de la suite de Jeanne de France, et lui proposa, puisque son destin était d’entrer dans les ordres, de mieux connaitre auprès de sa fondatrice cet ordre de l’Annonciade. Décidée à la suivre, votre fille m’a chargé de vous transmettre ce petit message d’explication.
« Mes chers parents, obéissant à votre désir, je me décide donc à entrer dans les ordres. Je vous demande seulement de me permettre de choisir une autre congrégation que celle des religieuses de Cormontreuil. Une nonne de la suite royale accepte de me conduire jusqu’à Bourges où je dois rencontrer Jeanne de France. Comme le temps presse, je vous fais parvenir ce petit mot que ma chère amie Eliette vous remettra en vous donnant toutes les explications que lui demanderez. Je vous donnerai dès que possible d’autres nouvelles. »
Tissu de balourdises que les parents gobèrent puisqu’elles allaient somme toute dans la voie qu’eux-mêmes avait choisie pour leur fille.
On s’en tint là, du moins provisoirement. Les soldats du guet cessèrent leurs recherches et purent se mettre de nouveau à ne rien faire, comme c’était souvent le cas.
Ceci étant, Eliette alla auprès de Jehan chercher la récompense de ses bons offices : sucette ou branlette, la chose restait à déterminer.
***
Quelques jours plus tard, le Grand Bâtard arriva enfin dans son château flamand. Jeanne son épouse, qui n’avait pas participé au voyage à Reims du fait d’une santé chancelante, accueillit avec gentillesse les deux protégées de son époux et après avoir connu les raisons de leur présence, les assura de toute son attention et se montra très bienveillante à leur égard. Elle leur promis de veiller à leur avenir en trouvant une solution à leurs problèmes. Pour l’heure, le clos et le couvert leur était assuré, aussi longtemps qu’il serait nécessaire.
Quelques semaines s’écoulèrent et Viviane s’aperçut qu’elle était enceinte.
Raimondo – 2016 (à suivre)