
Chapitre 5 : Cumières en Champagne
Arnoul écouta le récit que lui fit sa sœur.
Elle avait vécu au manoir de Cumières des mois de bonheur avec le baron qui se montra très prévenant avec elle. On sait d’ailleurs qu’il fut plus que prévenant… Jusqu’au jour où elle lui annonça qu’elle attendait un heureux évènement. La nouvelle aurait pu satisfaire Adelmar qui n’avait pas encore d’héritier pour lui succéder dans ses domaines. Mais non ; cette naissance, issue d’une roturière, ne pouvait en aucun cas satisfaire ce noble baron et purement et simplement il chassa comme un malpropre qu’il était.
Arnoul ne chercha pas à faire une quelconque remarque à sa sœur pour une conduite un peu trop légère qui avait provoqué cette maternité non désirée. Après tout il ne lui appartenait pas de jouer les censeurs et admettait volontiers qu’elle était assez grande pour mener sa vie à sa guise, à cela près que cette maternité pouvait entraîner quelques complications.
On remit à plus tard la recherche de solution aux problèmes actuels ; le frère et la sœur allèrent diner et faire halte pour la nuit à « L’Auberge de la joyeuses cumariote », tenue par une délicieuse aubergiste prénommée Adeline. On fit bombance avec grand plaisir, la joie de se retrouver aiguisant les appétits et l’agneau cuit à la broche par un cuisinier chevronné, se révélant particulièrement savoureux. La maitresse de maison assurait le service, apportant aux convives, dans des pichets d’étain un vin du cru légèrement pétillant, ne manqua d’attirer l’œil d’Arnoul ; cette femme, portait allègrement une petite trentaine et son bliaud de fine cotonnade entourait des formes auxquelles l’homme n’était pas insensible. De temps à autre, lorsque les regards se croisaient il lui souriait et avec grâce elle répondait à cette délicate attention.
Viviane, exténuée regagna sa chambre aussitôt le repas terminé, mais Arnoul souhaitait s’entretenir avec la belle aubergiste et, par elle, en apprendre un peu plus sur cet Adelmar de Cumières qui avait bassement chassé sa sœur après l’avoir séduite et engrossée. Dans la cour de l’auberge, sous un grand tilleul odorant, il attendit la belle tenancière, qui, ses tâches terminées avait promis de venir le retrouver. La nuit commençait à tomber lorsqu’elle le rejoignit, mais la pleine lune diffusait une lueur suffisante pour qu’il remarque cette femme dont la beauté le subjuguait. Elle avait, Arnoul osa penser que c’était à son intention, revêtu une nouvelle parure colorée dont le décolleté savoureux laissait apparaitre le haut d’une gorge séduisante et attirante. Elle vint s’assoir près de lui, répandant la senteur ambrée d’un parfum délicat qui acheva de lui tourner l’esprit et surtout les sens. Il eut le courage de résister à l’envie folle qui le poussait à la serrer dans ses bras.
- Vous connaissez bien le Baron Adelmar de Cumières, je suppose ?
- J’espère que vous ne m’avez pas fait venir près de vous pour me parler de ce méprisant personnage ?
- Soyez sans crainte, pas plus que vous, je n’apprécie cet infâme individu ; je suis ici pour venger ma sœur de l’indigne conduite dont il a usé envers elle.
Et Arnoul se fit connaitre, contant à cette jolie femme d’où il venait, ce que fut son enfance, ce qui l’avait mené en ce village champenois, afin de secourir sa jeune sœur honteusement subornée par le Baron. Le temps passant, la nuit, malgré la présence de l’astre nocturne, avait envahi la cour.
- Nous devrions poursuivre cet entretien en un lieu plus hospitalier. Venez, laissez-vous guider, dit-elle en lui prenant la main.
Arnoul, au toucher d’une peau douce, porta à ses lèvres cette main ; il la baisa longuement, avec passion. En retour, Adeline se sera contre lui, offrant une bouche quémandeuse à un baiser profond qui dura longuement, pendant que les mains s’égaraient à la recherche de recoins intimes.
Ils se retrouvèrent dans une chambre, préparée sans doute pour les recevoir, car une lampe à huile, allumée déjà, dispensait une lueur diffuse. Sans plus attendre, ils se dévêtirent, et nus, ils s’allongèrent sur un couche revêtue de douillettes peaux de loup. Arnoul contemplait avec émerveillement ce corps magnifique offert à ses caresses et à ses baisers, mais qui avait hâte d’être pénétré.
- Prends-moi vite, j’ai trop besoin de jouir, cela fais des semaines que je languis.
Arnoul, hésita une fraction de seconde, songeant un peu tard peut-être, à son épouse, mais lui aussi souffrait d’une longue continence qui le rendait fou ; il s’introduisit dans la chaude intimité qui le réclamait, et en quelques instants tous deux parvinrent à la félicité.
Si ce court intermède, mit fin à la trop grande tension qui les oppressait, ils en vinrent très vite aux multiples jeux aptes à réveiller à nouveau les ardeurs. Adeline était une femme expérimentée ; elle savait par les intimes caresses de ses doigts ou de sa bouche goulue, ranimer un sexe qui se dressa bientôt fièrement. Arnoul ne resta pas inactif et montra tout l’intérêt qu’il portait à des seins opulent mais d’une remarquable fermeté ; il s’attarda sur des tétons qui de toute évidence appréciaient les délicates caresses source de bienfaisantes sensations. A plusieurs reprises ils connurent le frisson de la jouissance avant que de sombrer dans un sommeil réparateur.
Au petit matin, lorsqu’elle s’éveilla, Adeline se remémora les doux instants de la nuit. Arnoul ne serait sans doute qu’un des nombreux amants qui traversaient sa vie, mais à coup sûr l’un de ceux dont elle pourrait garder un souvenir ému. Il était beau ; dès son arrivée à l’auberge elle fut frappée par ses yeux verts et son regard lumineux : elle le désira aussitôt et put se rendre compte qu’il était un merveilleux amant.
Succédant à son père dans cette auberge, elle ne s’était jamais mariée, mais elle savait apprécier les instants d’intimité avec des galants de passage qui assuraient, comme elle avait coutume de dire, son équilibre. Dès son plus jeune âge, elle avait réalisé que la sexualité tiendrait une grande place dans sa vie ; à condition toutefois de choisir ses partenaires. Elle se remémorait toujours avec horreur le jour où cet abject Baron de Cumières, alors qu’elle se promenait au bord de la Marne sur une sente ombragée, avait tenté de la prendre de force, lorsqu’elle était adolescente. Fort heureusement deux jeunes mariniers, dont la barge était amarrée à proximité, vinrent à son secours et le Baron reçut alors une belle volée de bois vert, dont les reins gardèrent longtemps le souvenir. Quant aux vaillants sauveteurs, en remerciement, elle les gratifia d’une bonne branlette. A l’époque elle n’était pas initiée à la sucette…
Adeline se tourna vers son bel amant encore entre deux sommeils et sourit en constatant une magnifique érection matinale ; il était temps de remédier à cette particularité spécifiquement masculine. Elle réfléchit un instant sur la conduite à tenir et finalement opta pour une bonne fellation qui, outre le plaisir, finit de réveiller Arnoul.
Si la nuit avait lui apporté de délicieux émois, elle avait aussi ancré en lui la nécessité de se rendre au manoir de Cumières pour y rencontrer le Baron et le mettre en face de ses responsabilités. Il s’en ouvrit à sa compagne qui, connaissant le personnage, tempéra son enthousiasme
- Ne sois pas aussi naïf, ce Baron n’a aucune moralité. Les enfants qu’il a faits dans la région ne se comptent plus et les pauvres filles engrossées ne manquent pas : il s’en moque éperdument.
- Mais enfin, ma sœur …
- Ta sœur a beau être d’un bon milieu, ce n’est pas cela qui modifiera l’attitude de ce forban. Ne t’attends surtout pas à une proposition de mariage.
- Et pourquoi pas ?
- Cesses de rêver au prince charmant ; d’autres y ont songé avant toi sans parvenir à quoi que ce soit contre cet homme sans conscience.
- Eh bien moi, je vais aller lui tirer les oreilles à ce malfaisant !
En effet, Arnoul se rendit au manoir. Reçu par le maitre des lieux dans un magnifique salon paré de tapisseries, il se fit connaitre, argua de ses titres, n’oubliant pas de préciser sa qualité de Grand Veneur du Roi qui lui conférait une marque évidente de considération. Il venait demander réparation au Baron, pour son attitude vis-à-vis de sa sœur Viviane honteusement chassée, bien qu’elle soit enceinte de ses œuvres.
Adeline avait raison, il ne fallait pas attendre de cet homme sans morale, une quelconque reconnaissance de ses actes.
- Après tout, qui peut me certifier que l’enfant qu’elle porte est mien ?
- Mais enfin, ma sœur a bien vécu dans ce manoir durant plusieurs mois !
- Je l’ai certes hébergée par charité, alors qu’elle était seule et désemparée après le départ de cette troupe de bateleurs qui l’avait abandonnée.
- Nierez-vous avoir été son amant ?
- Je veux bien vous l’accorder une petite aventure fugitive ; votre sœur est jolie et la chair a parfois des faiblesses. Mais je ne suis pas le seul homme vivant par ici : il y a les moines qui s’occupent de mes vignes, les journaliers qu’ils emploient, divers domestiques, bref, une source possible de candidats à la paternité.
Arnoul comprit qu’il ne tirerait rien de l’entretien : les arguments avancés par le Baron, révélaient bien la fourberie du personnage. Si la raison ne pouvait en aucun cas changer son attitude, il était temps d’employer la ruse. Et Arnoul allait s’y employer. Cessant de gloser sur les malheurs de sa sœur, il se fit soudain le chantre du château dont il loua la beauté architecturale et le soin qui avait présidé à la décoration intérieure.
- Dites-moi, vous avez là un admirable manoir et je pense que du haut de son donjon on doit avoir une vue magnifique sur les alentours et sur le domaine vinicole, qui je suppose vous appartient.
La conversation avait pris un tout autre cours ; in petto, le Baron s’en étonna quelque peu, mais les compliments lui allant droit au cœur et pour être agréable à son hôte, il lui fit visiter son manoir puis le conduisit au sommet du donjon.
En effet, de cette terrasse on pouvait admirer à perte de vue les vignobles champenois et en ce beau jour ensoleillé on apercevait même, à l’horizon, les clochers de la cathédrale de Reims.
Arnoul restait muet, subjugué sans doute par l’admirable paysage qu’on pouvait découvrir. Adelmar rompit le silence :
- Alors, qu’en dites-vous ?
- Une seule question me vient à l’idée : reconnaissez-vous la paternité de l’enfant que porte ma sœur ?
- Mais enfin …
Le Baron n’eut pas le temps d’en dire plus ; animé d’une force décuplée par la rage, Arnoul l’avait saisi à la taille, soulevé et basculé par-dessus bord.
Quatre vingt coudées plus bas, dans les douves, le corps d’Adelmar de Cumières gisait : mort.
Raimondo (à suivre) – 2015