
Chapitre 2 : la Capitale
Face au palais royal de la Cité, Viviane n’en croit pas ses oreilles, ni ses yeux d’ailleurs : l’homme qui vient de l’interpeller n’est autre que son frère Arnoul. Elle se précipite dans ses bras et se serre contre lui. Ils ne se sont pas vus, depuis des mois, depuis qu’elle a quitté le manoir de Courcy pour suivre ses amis romanichels. Arnoul, avait été touché par la disparition de sa sœur et la retrouver enfin, bien vivante, toujours aussi souriante, semblant à priori heureuse, ne peut que le ravir et c’est avec délectation qu’il savoure ce moment de bonheur. Le frère et la sœur ont hâte de savoir par quel hasard ils se sont retrouvés dans la capitale du royaume, aussi Arnoul prend-il les devants pour engager toutes les explications qu’ils attendent.
– Viens dans mon logis, où nous pourrons converser à loisir.
Ils se retrouvèrent, Viviane s’en émerveilla, dans une annexe du palais, un coquet logis jouxtant les écuries royales. A l’époque les nombreux déplacements du roi se faisaient à cheval et Arnoul, par décision royale, était chargé de s’occuper du cheptel indispensable aux voyages, qui réclamait des soins attentifs. Il vivait dans ce gite confortable lorsque le roi logeait à Paris et il l’accompagnait dans les autres lieux de résidence autour de Paris. Ondine son épouse, était demeurée au manoir de Courcy dans l’attente d’un heureux évènement.
Viviane s’expliqua sur sa fuite, sur cette conduite, qui l’avait poussée à prendre le large, pour parcourir les routes, sans même prévenir les siens. Aujourd’hui, face à son frère, entendant ses légitimes reproches, elle ne savait plus trop quelle conduite tenir : poursuivre son idée première, se créer un destin ou s’en retourner auprès de sa famille. Finalement ce fut Arnoul qui lui évita d’avoir à faire un choix.
– La Reine cherche une dame de compagnie. Si tu le désire, j’ai mes petites entrées au palais, je peux t’introduire auprès d’elle ; cela te permettra de satisfaire avec elle ton penchant pour la vie itinérante, car notre souveraine, avec ou sans son royal époux, adore aller et venir dans les diverses résidences royales entourant la capitale.
L’idée ne sembla pas inintéressante et Viviane songea soudain que rester à Paris dans l’immédiat, lui permettrait certainement de retrouver ce gracieux étudiant qu’elle avait connu lors de la foire du Lendit.
Elle le retrouva en effet et là, on ne s’en tint pas à un petit flirt anodin : les choses allèrent bon train et très loin. Diégo désirait acquérir enfin son billet pour le septième ciel. Depuis longtemps il aspirait à glisser ses mains sous le bliaud afin d’y effleurer une chaude peau satinée dont il imaginait la douceur. Il rêvait de découvrir ces seins qu’il avait frôlés à travers un mince tissu mais qu’il voulait désormais palper et goûter avec ses lèvres la teneur des tétons.
Ils sont nus sur une douillette couche échangeant caresses et baisers ; Diégo a hâte de se fondre en elle mais Viviane modère l’impatience de son jeune amant : elle lui fait sentir que la précipitation n’est pas, en l’occurrence, une bonne conseillère ; elle tempère ses ardeurs, lui suggère d’autres élans, d’autres postures, d’autres comportements. Finalement, après avoir longuement joué, usé des plus folles caresses, alors qu’elle sent monter une fièvre envahissante, elle introduit dans son intime grotte d’amour, un sexe turgide qui ne demande qu’à s’exprimer.
Ils ont joui. Diégo a perdu son innocence, Viviane à retrouvé le chemin de l’orgasme qu’elle avait depuis trop longtemps délaissé, les amants peuvent savourer en paix le bienfaisant alanguissement qui succède aux ébats.
***
Désormais Viviane fait partie de ces nombreuses personnes attachées au service du couple royal. Elle a sa place auprès de la reine, dont elle est devenue la dame d’atour ; le matin elle procède à l’habillage de la souveraine, choisissant dans une somptueuse garde robe la tenue qui convient aux activités prévues pour la journée. Le soir elle l’aide à endosser sa tenue pour la nuit et surtout elle enduit son corps d’un onguent censé faire disparaitre les vilaines vergetures occasionnées par les maternités successives. Elle a déjà mis au monde plusieurs garçons, la succession royale est donc assurée et si elle ne refuse pas les hommages de son royal époux, elle aimerait bien que cessent les grossesses quasi annuelles ; à ce sujet, Viviane lui a fait connaitre ces breuvages, dont la vieille Marie usait pour éviter aux femmes tels inconvénients. Cette complicité a d’ailleurs rapproché les deux femmes et en matière d’amour, elles n’ont plus aucun secret.
Le roi ayant décidé de rappeler à l’obéissance l’un de ses vassaux récalcitrants, va quitter la capitale avec son ost pour se rendre en une lointaine province du royaume. Comme il a toujours pris soin de le faire avant chacune de ses expéditions, il est venu ce soir rendre hommage à son épouse et lui laisser, par cette délicate attention, une réserve de bons souvenirs, qui meubleront l’esprit de la reine durant son absence. Viviane quant à elle, se faisait une grande joie d’aller retrouver Diégo, mais malheureusement, la nature vint perturber ses projets : il n’était pas question ce soir de se laisser aller aux délices de l’amour ; depuis des temps immémoriaux, il y a ainsi des jours de disette et à l’époque, les amants respectaient rigoureusement cette trêve.
Cependant l’imagination vient toujours au secours des déshérités et ce soir là Viviane eut à cœur d’apporter à son Diégo une panoplie de petits bonheurs capable de palier les inconvénients. Ce fut d’abord, après un massage général une bonne branlette prodiguée avec une sublime délicatesse puis, après un raisonnable moment, une magistrale fellation, toutes ces amabilités qui apportent au receveur une détente certaine.
Tout allait pour le mieux mais une fois encore le destin allait se manifester.
Accompagnée par un porteur de torche assurant sa sécurité, Viviane regagne dans la nuit parisienne la chambrette mise à sa disposition sous les combles du palais royal. Mais elle ne parviendra pas jusqu’à cet humble logis ; des individus masqués la ceinturent, la bâillonnent et l’emportent après avoir assommé le valet qui l’accompagnait. Dès qu’il a pu, celui-ci a alerté les hommes du guet et le prévôt a mis tout en œuvre pour traquer les malandrins, malheureusement, sans succès.
A cette époque médiévale, les grandes villes, et c’était le cas de Paris, étaient entourées de fortifications. Durant le jour, des accès permettaient les allées et venues des habitants hors de la cité, mais à la nuit tombée, les quarteniers fermaient à clé des immenses et solides portes, interdisant tout mouvement d’entrée ou sortie de la ville et assurant ainsi la sécurité des parisiens.
On pouvait être certains que les ravisseurs de Viviane étaient encore en la place, mais où ? Peut-être dans la cour des miracles, refuge des chenapans de tout bord ? Si tel était le cas, les hommes du guet n’oseraient, de nuit, s’aventurer dans ce lieu malfamé où ils risqueraient leur vie. On s’en tint donc à la judicieuse prudence consistant à remettre à plus tard ce qu’on n’était pas capable de régler plus tôt ; les temps anciens savaient déjà, en toute circonstance, user d’une grande sagesse.
Au matin en s’éveillant, la reine constata l’absence de sa suivante, qui n’était pas venue accomplir sa tâche d’habilleuse. Connaissant la ponctualité de Viviane elle ne fut pas longue à imaginer qu’un fait anormal s’était produit. Apprenant la disparition de sa suivante, grande fut son ire, une de ces colères réservée aux seuls grands de ce monde ; elle mit toute la maisonnée sur le pied de guerre, convoqua d’urgence les services de sécurité, et dans l’immédiat décida de faire la grasse matinée.
Le Prévôt fit diligence et bientôt retrouva la trace de Diégo. C’était à coup sûr un suspect convenable qu’on soumit tout de suite à la question ordinaire. Heureux temps où, par tout un éventail de tortures, on savait faire parler les récalcitrants ! Mais malgré l’usage des brodequins écrasant les pieds, l’absorption d’une incroyable quantité d’eau, et autres joyeusetés du même acabit, on n’en sut pas plus.
Le soleil était au plus haut dans le ciel quand la reine en fut informée. Toujours en chemise de nuit, elle « coléra » de plus belle contre ces enquêteurs incompétents et ces bourreau de bas étage. Elle demanda alors à interroger elle-même le suspect. Une suivante qui eut le mauvais goût de lui faire remarquer sa légère tenue incompatible pour recevoir un visiteur fut morigénée comme il se doit et vertement remise à sa place. Paradoxe, en cette médiévale époque, on peut dire que dans la chambre royale, il y avait de l’électricité dans l’air.
Alors que le soleil, poursuivant son trajet journalier, initiait sa courbe descendante, le suspect fut introduit auprès de la souveraine. Celle-ci s’était enfin décidée à quitter la nocturne chemise par trop diaphane pour endosser une longue cape de soie sous laquelle elle était nue. Pour la première fois de sa vie Diégo se trouvait face à cette belle dame dont tous parlaient avec que peu, y compris lui, avait eu l’honneur de côtoyer. L’âge mûr seyait à cette femme et pour lui rendre un respectueux hommage, il posa un genou à terre, tel qu’on pratique à l’autel, geste qui séduisit la souveraine, d’autant qu’il émanait d’un homme jeune bien fait de sa personne et d’après ce qu’elle savait d’une certaine culture.
A la demande de la reine, il parla de sa vie, de ses origines. Né par delà les Alpes, sur les terres des Comtes de Savoie, les prêtres avaient remarqué chez lui une ouverture d’esprit dont ils souhaitaient tirer profit ; on l’envoya à Paris afin d’y poursuivre des études universitaires dans le but de faire de lui un moine prêcheur. Si ce projet ne lui était pas désagréable à priori, les moments d’intimité avec Viviane lui avaient donné à réfléchir et la continence que lui imposerait la vie monacale lui parut alors bien difficile à assumer.
Cette confidence fit bien rire la reine qui apprécia chez son interlocuteur le goût des bonnes choses et l’idée d’éprouver quelques difficultés à devoir s’en abstenir dans l’avenir.
– Mon petit Diégo, je vois que vous avez passé une soirée mémorable ; contez-moi donc par le menu ces jeux qui vous ont fait si forte impression : votre curieuse reine brûle d’en savoir plus.
– Majesté…
– Au diable le protocole et vos réserves de jeune fille, votre reine a besoin de se divertir : je vous écoute.
Et Diégo avec des trémolos dans la voix, conta sa délicieuse soirée avec Viviane, sans rien omettre. Il évoqua la bienfaisante branlette et relata avec force détails, la succulente fellation. La reine fut impressionnée par cette dernière gâterie dont elle ignorait l’existence. Longuement, elle resta songeuse, imaginant certainement d’agréables projets.
– Oui… oui… répéta-t-elle à maintes reprises. Bien sûr…
Peu après, on frappa discrètement à la porte puis, en l’absence de réponse, un peu plus fort. Une voix féminine se fit entendre.
– Majesté, le prévôt tient à vous fait savoir qu’il a quelques renseignements susceptibles de vous intéresser.
Il n’y eu aucune réponse, car, le fait est avéré, l’éducation d’une reine de France lui fait interdiction de parler la bouche pleine…
Raimondo (à suivre)